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“No Pain no Gain” : la vraie histoire du gang “Sun Gym”
Par Olivier Pallaruelo ▪ mercredi 15 janvier 2014 – 05h00

“No Pain no Gain” ou l’envers du rêve américain. Comment trois culturistes portés sur les stéroïdes, les Babes et le Cash s’improvisent kidnappeurs – amateurs… avant que la situation n’échappe à tout contrôle. Achevant de faire basculer ce qui aurait

©Stian Roenning

Loin des effets pyrotechniques et autres CGI qui sont devenus sa marque de fabrique hollywoodienne, Michael Bay s’offre avec No Pain No Gain une surprenante récréation, une petite production indépendante au modeste budget de 26 millions de dollars. Autant dire une paille pour celui qui est davantage habitué à jongler avec des budgets flirtant allègrement avec les 200 millions $. Avec pas mal d’auto-dérision et d’humour noir, Bay livre sa version de l’envers du rêve américain. Ou comment trois culturistes portés sur les stéroïdes, les Babes et le Cash s’improvisent kidnappeurs – amateurs, avant que la situation ne dérape et échappe à tout contrôle. Achevant de faire basculer ce qui aurait au final pu n’être qu’un fait divers parmi d’autres, en une sordide, glaçante et sanglante affaire. Quand la réalité dépasse la fiction : découvrez la vraie histoire derrière No Pain No Gain.

WARNING !!!!! L’article ci-dessous Spoils énormément, puisqu’il dévoile toute l’histoire. Donc si vous n’avez pas encore vu le film, on vous suggère de passer votre chemin. Vous êtes prévenus !

“Mon nom est Daniel Lugo. Mon credo, c’est le Fitness”

Miami, Floride. Sa légendaire plage, d’une longueur interminable et d’un blanc immaculé ou presque, qui fait notamment la joie des touristes et vendeurs de cartes postales. Son soleil, pas loin de briller 365 jours par an. Plaque tournante aussi pour toutes sortes de traffics et petites combines. Miami, et ses amateurs de culturisme. Car aux Etats-Unis, sans doute plus qu’ailleurs, on a le culte du corps, des muscles saillants, régulièrement dopés aux anabolisants et autres stéroïdes. Comme Daniel Lugo par exemple.

En 1994, Sun Gym est un club de Fitness très prisé par les amateurs. Il offre tout ou presque pour se sculpter un corps parfait. On y trouve même un service de baby-sitting, sans oublier un peu de vente illégale de stéroïdes à l’abri des regards, dans les casiers… Manager du club, Daniel Lugo est charismatique et a du bagout. Pourtant, son passé est déjà trouble et lui colle aux basques. Il a été condamné par la justice en 1991 : il avait alors prétendu exercer le métier de conseiller financier, sous le pseudonyme de Daniel Lowenstein, délestant au passage ses victimes de près de 230,000 $. Plaidant coupable, il est condamné pour pratique frauduleuse, et promet au Juge de faire amende honorable. Ce n’est en vérité qu’un mensonge de plus. Mais, pour l’heure, il doit éviter de faire des vagues : la justice l’a notamment condamné à trois ans de mise à l’épreuve.

Le vrai Daniel Lugo, incarné par Mark Wahlberg dans le film, et le club de sport, “Sun Gym”.

Lugo engage à mi-temps au club de gym son ami Noel “Adrian” Doorbal, un immigré originaire de Trinidad. Tout en prodiguant leurs conseils de Fitness à leur clientèle, les deux s’associent dans une arnaque à la sécurité sociale par le biais d’une dizaine de -fausses- sociétés de conseils médicaux par téléphone, qui établissent de fausses factures pour des prestations médicales complètement bidons…

Adrian Doorbal après son arrestation, joué par Anthony Mackie dans le film. A gauche, le même, attendant la peine capitale dans le couloir de la mort. ©Metro Dade Corrections / Florida Department of Corrections.

A l’été 1994, le chemin de Carl Weekes croise celui des deux culturistes véreux. Originaire de La Barbade, Weekes arrive de New York, et souhaite laisser derrière lui un passé criminel saupoudré d’addiction à la drogue. Il a un casier judiciaire lourd : après seulement un an passé dans le Corps des Marines, il a notamment menacé de tuer un sergent. Pour se sevrer de la drogue et lutter contre ses démons, il se jette à coeur perdu dans le Christianisme. Weekes, en difficultés financières chroniques, se nourrit parfois grâce à des bons alimentaires. Il a un besoin urgent de boulot. N’importe quoi, ou presque. Mais le “Sun Gym” n’embauche pas ou plus, d’autant que de sales rumeurs de vente du club circulent…

Le vrai Carl Weekes à gauche. Dwayne Johnson lui prête ses traits, bien que son personnage ne porte pas le même nom dans le film.

Le puzzle se met en place…

En octobre 1994, Lugo passe un coup de fil à Carl Weekes : “J’ai un job pour toi. Passe me voir à mon bureau”. Là, Lugo lui demande ainsi qu’à Doorbal s’ils sont intéressés pour se faire 100.000 $ en 48h. Roi de l’embrouille, Lugo leur fait croire qu’un homme d’affaire louche et membre du Sun Gym, Marc Schiller, lui a non seulement volé 100.000 $, mais qu’en plus ce dernier a extorqué pas moins de 200.000 $ à un autre membre du Club, un certain Jorge Delgado. En fait, ce dernier est en réalité un complice de Lugo, et associé en affaires de Schiller… Le plan est simple : kidnapper cette “ordure” de Schiller et l’emmener dans un endroit sécurisé, le tabasser, lui faire avouer qu’il a volé de l’argent et le forcer à le rendre, prendre tout ce qu’il possède, sa maison comme son argent, ses placements financiers à l’étranger, sa voiture… En un mot comme en cent : Tout.

Marc Schiller, l’homme qui a tout perdu…A droite, sa maison squattée par le gang.

Effectivement séquestré, torturé à coups de Taser et battu à coups de poings pendant des semaines, Schiller finit par céder et signe tous les documents que lui présente Lugo et ses complices. Le gang cherche alors à se débarasser de lui en faisant passer son assassinat pour un accident de la route ; Schiller étant forcé à boire de l’alcool mélangé à des médicaments pour être totalement ivre. Mais Schiller survit miraculeusement à ses blessures.

En fait, il a la baraka : il échappe même à une seconde tentative d’assassinat du gang, décidé à le retrouver pour terminer le travail inachevé… Vivant caché et se remettant très douloureusement de ses blessures, Schiller engage le détective Ed du Bois (incarné par Ed Harris dans le film) pour retrouver la trace du gang et tenter de récupérer ses biens. Schiller jouera un rôle essentiel comme témoin au procès du gang “Sun Gym”. Mais avant cela, Daniel Lugo profite avec ses complices des quelques 2,1 millions de dollars bien mal acquis. Au voisinage, intrigué par ce nouvel arrivant, Lugo explique qu’il s’appelle Tom, et travaille avec ses camarades dans les forces de sécurité américaines. “Le propriétaire précédent s’est fait fait pincer pour du Business illégal, et la maison est désormais propriété du gouvernement”, leur dit-il avec une assurance et un aplomb hallucinants…

1995, nouveau coup d’éclat

Mais avoir un train de vie de millionnaire coûte cher. C’est que Daniel Lugo n’a pas envie de retourner à la case départ. Pas plus que ses complices. En 1995, sur un tuyau de son ami Noel “Adrian” Doorbal, Lugo jette son dévolue sur une nouvelle victime : l’homme d’affaire Frank Griga et sa compagne, Krisztina Furton. Immigré hongrois, Griga est le parfait exemple de la réussite du rêve américain. Même si son business, bien que légal, fait grincer quelques dents dans l’Amérique puritaine : il a bâti un empire basé sur le téléphone rose…

Frank Griga et sa compagne, tués par le gang…et découpés en morceaux.

En mai 1995, il tombe dans le piège tendu par le cerveau du gang. Lugo lui fait miroiter de juteux placements à l’étranger, et lui propose de conclure un deal chez son ami Adrian Doorbal. Mais là, les choses dérapent… Une dispute éclate entre Lugo et Frank Griga. Ce dernier est tué dans la salle de bain, le crâne fracassé. Sa compagne, découvrant son amant sauvagement battu et surtout mort, se met à hurler. Lugo la drogue avec un tranquilisant normalement utilisé par un vétérinaire pour les chevaux, avant de l’assassiner à son tour. Le malheureux couple finira découpé en morceaux…

L’étau se resserre

Tandis que le gang accomplit sa macabre besogne, l’étau se resserre en même temps autour de Daniel Lugo et ses comparses. Ed du Bois, le détective engagé par Marc Schiller, la première victime de Lugo, les traque depuis des mois sans relâche. Huit jours après le meurtre de Frank Griga et sa compagne, désormais signalés comme disparus, Ed du Bois reçoit un coup de fil du Capitaine Al Harper, de la Metro – Dade (la police à Miami), qui l’a aidé dans son enquête sur le kidnapping de Schiller. Il lui explique qu’il a placé sous surveillance certains individus susceptibles d’être impliqués dans l’enlèvement du businessman hongrois. Les suspects travaillent au Sun Gym. S’agit-il des mêmes personnes que du Bois a identifié plusieurs mois auparavant ? Il demande à rencontrer le responsable de la brigade criminelle, et confronte ses recherches avec les informations sur l’enlèvement de Frank Griga et sa compagne. Pour lui, aucune doute : il s’agit bien de la même équipe derrière les deux kidnappings.

Au petit matin du 3 juin 1995, 75 policiers des forces de la Metro – Dade, le SWAT et des négociateurs spécialistes de la prises d’otages s’apprêtent à délivrer un mandat d’arrêt contre Daniel Lugo, Jorge Delgado et Adrian Doorbal. Même le propriétaire du club Sun Gym, John Mese, est sur la liste des personnes à interpeller. Delgado explose de rire à la lecture de son mandat d’arrêt. Cueilli chez lui, Adrian Doorbal n’offre aucune résistance, et se rend au QG de la police volontairement. En fouillant sa maison, la police découvre pleins d’objets ramenés de la maison de Marc Schiller, y compris son album photo de sa lune de miel avec sa femme…

Mettre la main sur Daniel Lugo fut moins aisé. Sentant l’ombre de l’échaffaud planner au-dessus de lui, il s’est déjà enfui aux Bahamas avec sa compagne. Il pourra ainsi profiter de son pactole mis à l’abri dans ce paradis fiscal; et la police n’ira quand même pas le chercher jusque-là. Du moins le pense-t-il. Cinq jours après l’arrestation de ses complices, il est arrêté à Nassau, et mis sur un vol commercial à destination de Miami. Sur le tarmac, un solide comité d’accueil l’attend…

Daniel Lugo, après son interpellation.

Accusé en juin 1995 de meurtres, extorsion, kidnapping et torture, Daniel Lugo attend avec ses complices de passer en procès, qui se déroule entre 1996 et 1998. En 1998, le cerveau du gang et Noel “Adrian” Doorbal sont condamnés chacun deux fois à la peine de mort; une fois pour Frank Griga, l’autre pour pour sa défunte compagne.

Si vous souhaitez vous plonger en détails sur l’affaire, on vous suggère de lire ici l’ensemble des articles écrits par Pete Collins, qui ont inspiré à Michael Bay son film. Prévoyez un bon café, il y en a pour plus de 50 pages.

Vanity Fair – La vraie histoire de « No pain No gain »

En 1994, Marc Schiller a vécu un mois d’enfer. Séquestré et torturé par des individus gonflés aux stéroïdes, il est contraint de leur remettre plusieurs millions de dollars. Ce fait divers, adapté à l’écran par le réalisateur Michael Bay, sort mercredi en salles. Au grand désarroi de la victime, toujours en vie.

« Ils voulaient vivre le rêve américain, ils l’ont volé ». Voici la catchline du prochain film de Michael Bay, en salles le 11 septembre. À partir d’une série d’articles parus dans le Miami New Times, « No pain No gain » raconte comment des membres d’un club de gym, qui s’étaient mis en tête de gagner beaucoup d’argent sans effort, ont kidnappé un riche businessman. Dans le film, l’histoire de ces gangsters amateurs est assez drôle, la réalité le fut moins.

Schiller, méchant et victime
C’était le 15 novembre 1994 à Miami. L’homme d’affaire argentin Marc Schiller sort dans l’arrière-cour de son restaurant, le Schlotzsky’s Deli et se dirige vers sa voiture. Il n’aperçoit pas le van Astro qui s’engouffre dans le parking. Trois hommes en sortent, tous vêtus de jeans et t-shirts blancs. Marc Schiller tente d’ouvrir la porte de sa voiture mais se fait attraper par derrière…

– « Si vous voulez ma voiture, prenez-là » hurle-t-il.

Pas de réponse des assaillants.

– « Dîtes-moi ce que vous voulez, et peut-être que je pourrais vous le donner », insiste-t-il.

Marc Schiller se débat. Un des kidnappeurs lui assène des coups de pistolet à impulsion électrique. Schiller poursuit le combat, sans succès. Les hommes – qui s’amusent beaucoup avec lui – embarquent le businessman, prennent sa montre, sa mallette, sa chaine, son bracelet, avant de prendre la 79e avenue de Miami-Dade.

Durant un mois, Marc Schiller vivra l’enfer, accroché au mur d’un entrepôt. Il sera humilié, frappé à l’aide d’une batte de base-ball, électrocuté, se fera brûler le bras au chalumeau. Ses agresseurs joueront avec lui à la roulette russe… Après l’avoir forcé à transférer sa fortune sur leur compte, Schiller est placé au volant d’une voiture, une bombonne de gaz pour seule compagnie. Les gros bras mettent le feu au véhicule mais Schiller parvient à s’extirper in extremis du véhicule. Il suffoque, tente de reprendre ses esprits. Ses agresseurs lui roulent dessus en voiture. Une fois, puis deux fois. Il est conduit à l’hôpital. Miracle, même s’il est dépossédé de toute sa fortune, Schiller est encore en vie. Et personne ne veut vraiment croire au calvaire qu’il vient d’endurer.

Le traître ?
« Tu ne mérites pas de vivre la vie que tu vis ». En entendant ces mots lancés au moment de son kidnapping, Schiller se rend compte qu’il connaît l’un de ses ravisseurs. Il s’appelle Jorge Delgado. Schiller l’a embauché à la demande de son assistante, qui n’est autre que la femme de Delgado. Les deux hommes deviennent amis. Mais lorsque Marc Schiller décide d’acheter une chaîne de restaurant, Delgado est surpris de ne pas y être associé. L’homme d’affaires a ses raisons.

Daniel Lugo est aujourd’hui dans le couloir de la mort (Capture d’écran Associated Press).

Le monstre
En fait, Schiller s’inquiète. Delgado, maigre et pas vraiment l’âme d’un athlète, traîne souvent au Sun Gym. Il présente à Schiller son entraîneur personnel, Daniel Lugo – joué par Mark Wahlberg dans le film de Michael Bay.

Lugo est un bodybuilder hispanique, manipulateur, qui affirme avoir été footballeur professionnel. « Il avait presque un néon sur la tête avec affiché ‘Ne me faites pas confiance’. Il était un escroc et c’est tout ce qu’il savait faire », racontera Schiller.

Delgado et Lugo, eux, ont des vues très prosaïques. Ils veulent simplement profiter à plein des vices à portée de main à Miami : drogues, alcool, filles et grosses voitures.
Ils mettent donc en place ce projet d’enlèvement contre Schiller. Pour le mener à bien, ils s’entourent de l’un des meilleurs amis de Lugo, Noel Doorbal. Tous deux se dénomment « Batman et Robin » – leur nom de code durant la séquestration de Schiller. « Doorbal était un vrai sadique. Il aimait blesser les gens et fut deux fois volontaire pour me tuer », décrira Marc Schiller.

L’équipée sauvage du « Sun gym gang »
Les malabars vont vivre plusieurs semaines dans le luxe, le sexe, la drogue et les piscines. Mais l’argent extorqué à Schiller ne suffit plus. Ils veulent réitérer leur méfait, se rapprocher plus près encore du soleil de Miami, quitte à s’y bruler les ailes. Ils décident de s’attaquer à un riche couple de la ville : Frank Griga et Krisztina Furton. L’affaire tourne mal : au moment de la tentative d’extorsion de fonds, Frank Griga meurt, la tête écrasée par un poids de musculation ; sa femme est tuée à l’aide de tranquillisants pour chevaux et découpée en morceaux. C’est la fin de cette équipée sanglante. Le gang se fait arrêter en mai 1995.

Lugo et Doorbal sont aujourd’hui dans le couloir de la mort. Jorge Delgado a été condamné à 15 ans de prison mais n’en a purgé que la moitié. Il est libéré en 2002 et vit désormais à Miami-Dade. Marc Schiller écopera d’un an de prison pour fraude et « profitera » de cette période pour écrire le livre : Pain and Gain – The untold story. Il vit depuis dans un studio de Boca Raton en Floride.

18 ans plus tard, Michael Bay adapte donc cette histoire et dépeint Lugo comme un anti-héros – mais héros tout de même –, prolétaire victime de l’univers consumériste affiché par la télévision. Un gangster déluré à l’amateurisme cocasse, provoquant presque l’empathie. Schiller – incarné par Tony Shalhoub, le héros de la série Monk – est décrit comme un vieux « beauf » cynique.

Marc Schiller vu par Michael Bay dans « No Pain No Gain ».

Dans un entretien accordé au quotidien britannique The Guardian, Marc Schiller regrette de ne jamais avoir été informé de l’avancée du film de Michael Bay. « Ma douleur a réellement engendré des gains pour beaucoup de monde, particulièrement à Hollywood. L’un de mes collègues m’a appelé pour me parler du film, j’étais enthousiaste et je pensais qu’ils allaient me contacter ». Qu’à cela ne tienne, le film rapporte près de 50 millions de dollars aux États-Unis.
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